Sa naissance

Un vendredi soir comme un autre depuis mon retour de vacances. Je couche mes deux premières filles (5,5 et 3 ans). Comme tous les soirs, c’est un peu long, elles sont excitées, ne veulent pas se coucher, demandent mille choses (verre d’eau, doudou -non pas celui là, l’autre -celui qui est introuvable…) et se souviennent de dix mille à choses à faire hyper importantes qu’elles n’ont pas faites dans la journée. Classique. Quand elles sont enfin dans leur lit à peu près apaisées, je descends, discute un peu avec le chéri et m’installe devant une série avec un carré de chocolat, profitant de ces nuits encore entières. Le Chéri se couche, il a un déplacement prévu demain. Après ma petite série, je me couche à mon tour.

Le lendemain matin, c’est le Chéri qui se lève pour s’occuper des aînées, réveillées aussi tôt qu’un jour d’école, évidemment. Il est à peine sorti du lit, vers 8h, que je sens une première contraction. Je n’y pense pas outre mesure, j’en ai déjà eu plusieurs matins, sans suite. Je profite encore un peu du lit douillet, quand en arrive une autre. Puis encore une. Je commence à m’interroger. Deux semaines avant le terme prévu, c’est un peu tôt (mais tout à fait «acceptable», on ne parle pas de bébé prématuré). Je me dis que je vais prendre une douche chaude pour vérifier que c’est bien un «vrai» travail. (Je trouve le spasfon inutile, mais il est souvent conseillé dans ce cas). Une autre contraction surgit et je comprends que c’est pour aujourd’hui. A 9h, je rejoins mari et filles à la table du petit déjeuner. Je dis au Chéri que son déplacement est quelque peu compromis.

-Mais pourquoi?

-Le bébé va arriver aujourd’hui !

Pour confirmer mes dires,une autre contraction me fait me plier en deux dans la cuisine.

Je pense encore qu’une douche me ferait du bien. Mais en me dirigeant vers la salle de bain, nouvelle contraction. Je décide d’appeler la sage-femme. Je lui envoie un petit texto. Elle appelle de suite mais une contraction m’empêche de répondre, c’est le Chéri qui décroche. Oui, je pense que c’est pour aujourd’hui! Je n’ai pas mesuré le temps entre chaque contraction, mais elles se rapprochent, ça c’est sûr. La sage-femme dit qu’elle se prépare, appelle sa collègue et qu’elles viennent.

Pendant ce temps, le Chéri a réveillé ses enfants-à-lui (16 et 14 ans), qui sont là ce week-end. Il a installé les 4 dans la salle de jeux, avec pour mission de rester à l’étage. Exceptionnellement, les DVD sont autorisés dès le matin !

Puis il vient préparer la chambre: mettre un vieux drap et faire un peu de place (on est plutôt bordéliques!).

Je marchais dans la maison, m’accroupissant ou me pliant en deux -selon mon ressenti- à chaque contraction. Finalement, je rejoins la chambre.

Le Chéri est à la fois excité et angoissé. Mais il a des choses à faire, je pense que cela l’aide à gérer la situation: ranger, préparer… Il n’est pas passif. De mon coté, pas de valise à boucler à la dernière minute, pas de stress à prendre la voiture… Juste me concentrer sur mon corps qui travaille.

Les sages-femmes arrivent. Je suis déjà dans ma bulle, je ne verrai pas le matériel déballé, les petites mains qui s’activent, qui pour trouver une bassine, qui pour faire chauffer de l’eau, qui pour trouver la serviette… R., «ma» sage-femme (SF), celle avec qui tout a commencé, me demande si je veux qu’elle m’examine. J’acquiesce. Elle me fera le seul toucher vaginal de l’accouchement. Mon col est ouvert à 6. Je ne sais pas quelle heure il est. Les contractions sont très rapprochées et très intenses. R. me propose également de prendre une douche. Mais je peux à peine faire deux pas qu’une contraction arrive. Je sens le besoin de bouger pour les accompagner. Accroupie, à quatre pattes… Je change souvent. R. prépare le tabouret d’accouchement. Je m’y installe un moment. Les contractions sont vraiment intenses. J’émets un râle de plus en plus prononcé à chacune d’elle. Parfois, A, l’autre SF m’accompagne d’un son grave. Je change mon cri en note, longue et tenue. A un moment, nous sommes trois à «chanter» ensemble.

Régulièrement, A ou R place un gant de toilette plongé dans l’eau chaude sur mon ventre. Si je ressens la contraction dans le dos, je lui prends la main et la place là. La chaleur soulage. Je ne vois pas tout ce que font ces petites mains autour de moi. Je sens qu’on s’active mais dans le calme. Les SF sont parfaites: présentes, mais pas intrusives, discrètes mais efficaces.

Mon Chéri est présent aussi. Parfois je m’accroche à lui. S’il s’absente pour aller voir les enfants, les SF sont là.

Bien sûr, j’ai mal, bien sûr, cela semble long. Mais au moins, je suis là où je le voulais, libre de mes mouvements, sans aucun appareil autour de moi, sans bip bip de machines, intègre de toute aiguille. Aucun appareil intrusif ne s’immisce dans ce moment.

Vient un moment où je me sens fatiguée. Je m’allonge sur le lit entre deux contractions, je ferme les yeux, je m’endors presque. Alors, aucun bruit ne me dérange, les SF se taisent aussi. Dès que la contraction arrive, je me relève, je sens la vague, d’abord doucement, je sais que cela va s’intensifier, je respire fort, je souffle, je «chante». A un moment, je n’en peux plus. Je le dis: «j’en peux plus, j’y arrive pas, c’est pas possible, il ne se passe rien!» R me demande alors si je veux sentir où j’en suis. Je mets ma main entre mes jambes et je sens la tête ! La tête de mon bébé !!! Cela décuple mes forces. J’attends une contraction et me mets à pousser. Puis je m’allonge, exténuée. Une autre contraction arrive, je m’allonge sur le coté, Chéri est près de ma tête, je le tiens fort, je pousse. Je pousse et je sens le bébé arriver. Il glisse, glisse et sort d’un coup «splouch» ! Je sens le liquide, j’entends les SF, je tourne ma tête et vois mon bébé !!! Il se passe bien quelques secondes avant qu’il n’émette un petit son, on ne pourrait même pas parler de cri. Un mélange de soulagement, de plénitude, de bonheur. Le Chéri regarde et me dit «c’est une petite fille, c’est M. !» Je ne réalise pas, je m’en fiche, mon bébé est là, j’ai fait sortir mon bébé!

Les SF sont amusées, car elle est sorti d’un coup et avec la membrane sur la tête «un bébé coiffé» comme on dit.

Je m’allonge sur le lit, elles déposent ma fille contre moi, simplement essuyée et entourée d’une serviette. On rajoute une couverture et je reste là, entourée du Chéri, à la regarder. Petite tête ronde et rose, pas du tout déformée, on sent que le passage ne lui a pas fait mal. Elle est toute calme et cherche le sein. Le temps s’efface. J’entendrai pourtant la SF dire 12h37. Il s’est passé moins de 5h entre la première contraction et la naissance !

Les enfants sont au restaurant voisin, le Chéri les avait déposés là pour midi. Les deux filles se rappelleront surtout qu’elles ont mangé des frites ! Leur père va leur annoncer à 13h qu’ils ont une petite sœur. Quand ils viendront la voir, elle aura à peine quelques minutes !

Au bout d’un moment -que je ne n’estime pas- A me demande si je sens des contractions. Non pas vraiment. M est contre moi, elle tétouille, le cordon est encore raccordé au placenta, pas encore expulsé. Il a cessé de battre, on va donc pouvoir le clamper. A me demande si je veux essayer de pousser un peu. Sur une petite sensation d contraction, je pousse. Encore une et le placenta est sorti. La délivrance. Ce terme prend tout son sens. Je n’ai plus rien dans le ventre, un bébé est dans mes bras et le placenta sorti. C’est bien fini.

Je reste allongée avec mon bébé, me reposant, la regardant. Je sens autour l’activité des SF qui rangent, nettoient, observent le placenta pour s’assurer qu’il est complet. Je suis sur un nuage.

Le Chéri m’apporte à boire. Je commence à resentir la faim. Les SF et le Chéri n’ont rien mangé non plus (ou si, quelques gâteaux et petites provisions qui trainaient dans la cuisine). Chéri va préparer un petit repas. A 16h, une table est dressée dans la salle à manger. Bébé dort, je me lève tranquillement et viens à table, pour dévorer une assiette de pâtes. Tout semble si simple: je viens de faire sortir n bébé de mon ventre, mais je peux me lever, marcher, parler, manger et rire. Pas de sonnette pour demander si j’ai le droit d’aller aux toilettes… (vécu en mater, même sans péridurale). Je peux manger à ma faim, des choses nourrissantes et que j’aime, pas cette «nourriture» infâme de l’hôpital.

Repas improvisé, discussion de tout de rien, tout semble si simple. Je me recouche près de mon bébé.  Plus tard, j’irai finalement la prendre, cette fameuse douche ! Seule, debout, une bonne douche chaude qui détend.

C’est déjà le soir, le Chéri fait diner les aînées. Comme tous les soirs, c’est moi qui monte pour le rituel du coucher. Des gros câlins à chacune de ces nouvellement grandes sœurs.

Je n’ai pas très faim, juste envie d’une bonne soupe, de boire. Je mange un peu. Chéri prolonge le diner avec ses deux enfants, ils discutent. M. dort paisiblement dans notre lit. Je vais m’installer dans le salon, et regarder l’épisode suivant de ma série d’hier.

Un samedi soir comme un autre depuis mon retour de vacances, rien n’a changé, tout a changé. Un bébé dort à mon coté.

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8 réflexions au sujet de « Sa naissance »

  1. Je découvre ton article ! Très beau témoignage. Ça fait réfléchir 😃 Merci pour ce partage et bienvenue (avec beaucoup de retard) à ta petite merveille !!

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